Alain Aspect, prix Nobel de physique 2022 : "La loi de programmation sur la recherche avait beaucoup de bonnes idées"

Thibaut Cojean Publié le
Alain Aspect, prix Nobel de physique 2022 : "La loi de programmation sur la recherche avait beaucoup de bonnes idées"
Le prix Nobel de physique 2022 Alain Aspect répond aux questions d'EducPros. // ©  Mathias FILIPPINI/REA
Le co-lauréat du prix Nobel de physique, décerné pour une expérience de 1982, observe la dégradation de l'état de la recherche en France. S'il apprécie les projets, il déplore des moyens insuffisants pour les mettre en œuvre.

Le prix Nobel de physique a été décerné en octobre 2022 au Français Alain Aspect, à l'Américain John F. Clauser et à l'Autrichien Anton Zeilinger. Tous trois ont vu leurs travaux sur la physique quantique récompensés. Le physicien français porte un regard critique sur l'état de l'université et de la recherche aujourd'hui, et mise sur les nouveaux pôles universitaires mêlant recherche, enseignement et industrie.

Quel est votre regard sur l'état de la recherche et de l'université aujourd'hui en France ?

Je suis obligé de dire que la loi de programmation sur la recherche, je le crois, avait beaucoup de bonnes idées. Je suis l'avis de l'Académie des sciences, dont je suis membre, qui estime qu'on peut se féliciter des bonnes idées qui étaient dedans, mais qui est aussi très déçue des sommes qui ont été affectées à la mise en œuvre de cette loi de programmation. Le financement est en dessous de ce que l'Académie des sciences estimait être le minimum.

Le financement de la loi de programmation est en dessous de ce que l'Académie des sciences estimait être le minimum.

Cela dit, on peut quand même se réjouir qu'il y ait une loi de programmation pluriannuelle. Et surtout, de voir le modèle des nouveaux pôles universitaires - qui a émergé ces dernières décennies - se confirmer.

C'est un modèle que j'apprécie particulièrement car j'ai fait ma recherche dans l'Institut d'optique de l'université Paris-Saclay. Il a été créé en 1920 par des visionnaires, qui avaient déjà perçu l'intérêt d'associer, dans un même établissement, une recherche fondamentale, une recherche appliquée tournée vers l'industrie et un enseignement de haut niveau.

Aujourd'hui, les nouveaux pôles universitaires déclinent un schéma de ce type à une plus grande échelle. Je trouve que c'est une belle structure.

Ce modèle a un coût. Est-ce que l'université française doit rester gratuite ?

Absolument. Totalement gratuite, mais on peut en discuter. Je pense qu'avoir conscience que l'enseignement a une valeur, ce n'est pas une mauvaise chose. À condition bien sûr que les étudiants qui n'ont pas la possibilité de payer ce minimum reçoivent une bourse. Je trouve aussi extrêmement nocif d'avoir la possibilité de ne pas aller en cours. Quand vous allez au cinéma, vous payez votre place et vous regardez le film jusqu'au bout.

Je pense qu'avoir conscience que l'enseignement a une valeur, ce n'est pas une mauvaise chose.

Je ne parle évidemment pas des sommes délirantes des universités américaines, mais payer un peu pour se rendre compte de ce que l'enseignement vaut, je ne suis pas contre. Cependant, personne ne doit être empêché de faire des études parce qu'il n'a pas les moyens. Heureusement, on a plusieurs systèmes éducatifs en France pour répondre à cette question.

Est-ce qu'un étudiant qui démarre son parcours universitaire en 2022 peut espérer recevoir un Prix Nobel un jour ?

Oui. C'est vrai que l'état de la recherche a baissé en France, mais il reste des structures, en particulier au niveau de l'Europe, qui permettent de financer des laboratoires de pointe. Il y a des bourses du "European research council" (conseil européen de la recherche) dans toutes les grandes universités françaises, et c'est quand même l'élite de l'élite.

Un étudiant qui montre beaucoup de motivation et se dirige vers des laboratoires de ce calibre-là a toutes les chances de réussir. Cela étant, je ne dis pas que la situation est géniale. Pour les labos en-dessous de ce niveau, cela ne fait pas de doute que la situation s'est dégradée.

Thibaut Cojean | Publié le